Afin de me faire plein de nouveaux amis, j'ai décidé de consacrer ce blog à la critique d'albums jeunesse.
Pour le reste, on se reportera toujours utilement à Du sarin dans le plastibulle.

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mardi 1 mai 2012

J'fais c'que j'veux !

François David et Olivier Thiébaut. - Les hommes n'en font qu'à leur tête. - Sarbacane, 2011.

Quand j'étais petit, à l'École Nationale d'Arts Décoratifs de Limoges, nos professeurs n'avaient de cesse de nous mettre en garde contre la séduction. Avec les années, le Beau dans l'art était devenu suspect, la joliesse en était l'enfant bâtard et vaguement putassier. Toutes esgourdes ouvertes, nous retenions la leçon et nous efforcions alors au seul Vrai, concentrés sur nos toiles, laissant ces jolis-cœurs appointés par l'État en profiter pour emballer nos copines. Quelques années plus tard, promus vaillants auteurs-illustrateurs-de-livres-pour-enfants, nous découvrions, non sans plaisir coupable, que la barre s'était considérablement abaissée. Il nous était désormais non seulement loisible mais également conseillé de faire de l'œil aux moins de douze ans, on nous ferait des prix sur le rose et le bleu. Tout fut soudain plus simple : plus besoin de se justifier sans cesse, inutile d'appeler Kant à la rescousse, de citer Wittgenstein ou d'éplucher les œuvres complètes de Walter Benjamin, il suffisait de plaire.
Plaire, c'est ce que cherche manifestement à faire ce livre d'Olivier Thiébaut. Et pourquoi bouder son plaisir ? Il est vrai que cette collection d'exercices de style déclinant Arcimboldo à tous les étages a de quoi fasciner, et pas seulement les chineurs. De L'homme de terre (terre, feuilles et herbe sèche, racines, coquilles de noix, papillons...) à L'homme du futur (pièces de mécano, rouages, fil électrique, cadrans de montre...), l'artiste s'applique à faire le tour de l'homme en seize portraits brocantés qui sont autant de petits prodiges de minutie et d'invention. Chanceux dans ses trouvailles, malin dans leur arrangement, Olivier Thiébaut compose autant de tableaux-reliefs qui, s'ils n'étaient pas déjà dans ce livre, trouveraient aisément place dans l'une ou l'autre de ces élégantes galeries du VIe ou du Marais où l'amateur d'art vient refaire sa déco. Et c'est un peu là que le bât blesse : qu'est-ce qui distingue ces assemblages de la petite dame en coquillages chère aux étagères de nos mamans ? Rien d'essentiel, au fond, sinon l'aspect cultivé de la référence. Pour le reste, aucun débordement, rien ne dépasse de la seule citation ressassée avec le même uniforme bon goût dont le signe est donné, par-delà les différences contextuelles, par l'identique patine des éléments collectés. Même L'homme du futur est constitué de vieilles choses, tandis que L'homme de lettres est évidemment fait de sergent-major et de demi-chagrin, selon le code nostalgique qui alimente notre vision du monde depuis que les lendemains ont cessé de chanter. Quelles que soient ses multiples qualités (visuelles, plastiques), en ne proposant que du déjà connu, Les hommes n'en font qu'à leur tête nous parle d'art bien plus qu'il n'en fait et vient ainsi souligner une nouvelle fois que l'illustration est avant tout un art de la communication, qui ne saurait en aucun cas faire abstraction du discours. Lorsqu'elle le fait ou, comme ici, feint de le faire, l'illustration se tient au bord de son rôle et pose l'intéressante question des limites : où s'arrête la com', où commence la peinture et dans quelle mesure peuvent-elles se confondre ?

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