Têtes à flaps

Laurent Moreau À quoi penses-tu ? - Hélium, 2011.

En 1997 paraissait chez Pastel le Quand j'étais petit de Mario Ramos. À chaque double-page, un personnage occupé à ses affaires d'adulte. On soulevait un volet et l'on mesurait, de manière immédiate et souvent poignante, la distance entre ce qu'enfant nous aurions pu être et ce que nous sommes devenus. C'était à la fois drôle et émouvant. D'où vient que Laurent Moreau, avec un fonctionnement assez analogue, ne parvient ni à l'un ni à l'autre ? L'idée était pourtant bonne : un portrait, une légende, un volet à soulever pour découvrir ce qu'il y a (ou pas) dans la tête des gens. Mais rien à faire, ça ne prend pas.
Est-ce l'argument de vente imparable - "Un livre avec des flaps", arboré dès la couverture, qui signe une certaine insincérité ? Est-ce le graphisme, élégant mais froid et tout de même assez largement tendance ? Ou bien est-ce le texte, qui enferme si bien le sens qu'il n'y a finalement plus aucune surprise à soulever le volet ? Quand j'étais petit était un album sans texte et s'en passait parfaitement. Le texte d'À quoi penses-tu ? ne se contente pas de redoubler l'image, il la tue. La surprise - cet éblouissement et le léger vertige qu'il induit, s'efface alors au profit d'une simple vérification. Et pourtant, faites l'expérience : prenez les portraits de Marie, de Guillaume ou de Marion et tentez de faire abstraction du texte. Les images ne prennent-elles pas tout de suite une tout autre dimension ? Ne se font-elles pas soudain beaucoup plus puissantes ? Plus mystérieuses aussi mais cet écart, source de tout humour comme de toute poésie, c'était le risque à courir et le prix à payer. Laurent Moreau n'a pas osé et c'est dommage. Il avait occasion de faire œuvre, il ne livre au fond qu'un produit. Un truc avec des flaps. Même pas malin. À peine chic.