Afin de me faire plein de nouveaux amis, j'ai décidé de consacrer ce blog à la critique d'albums jeunesse.
Pour le reste, on se reportera toujours utilement à Du sarin dans le plastibulle.

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dimanche 27 novembre 2011

Morceau de roi

Janusz Stanny Le roi des Dardanelles. - MeMo, 2011.

Rentré bredouille de la chasse au dragon, le dernier roi des Dardanelles ne se sent plus très motivé. Peu à peu, et au grand effroi de ses courtisans, il se dépouille de tous les attributs de la royauté et finit par disparaître à l'horizon sur son petit vélo.
J'ai tout compris : avec leur programme de rééditions, les éditions MeMo ont décidé de nous faire honte. Quoi ? On publiait de telles splendeurs derrière le rideau de fer en 1971 ? Eh oui, on l'aurait presque oublié, mais l'Ouest n'a jamais eu le monopole de l'innovation graphique et la Pologne, notamment, eut dans ces années-là une génération de graphistes et d'affichistes dont on n'a pas fini de faire le tour. Si l'on connaît assez bien le travail d'un Roman Cieslewicz, celui de Janusz Stanny reste en revanche à découvrir. Né en 1932, affichiste et dessinateur de presse, Stanny est avant tout un prodigieux illustrateur, auteur de près de 200 albums. Après avoir réédité Le petit monde du peintre roux (2007), MeMo en remet une couche avec ce Roi des Dardanelles qui, d'un point de vue strictement visuel, est en lui-même un tour de force. Entièrement traité en plans larges occupant tout l'espace de la double-page, il déploie une série de somptueux panoramiques devant lesquels un Cecil B. DeMille n'a qu'à bien se tenir. Comme dans un peplum de bonne facture, les personnages, seuls ou en foule, semblent minuscules et perdus au milieu d'architectures fantastiques, héritières de tous les styles qui firent la gloire de nos souverains. Mais là où le réalisateur américain devait faire appel au Technicolor, à une armée de décorateurs et à des milliers de figurants, Stanny, lui, n'a besoin que d'une plume et d'un peu d'encre de Chine. Le reste est affaire de patience et d'astuce : dessinés pierre par pierre, brique par brique, ses paysages déjouent la perspective en de savantes compositions parfois renforcées par des techniques de superposition et d'inversion. Le résultat est si étonnamment chatoyant que ces grandes images en noir et blanc laissent un souvenir en couleur, laquelle n'est pourtant donnée que par le rouge du texte venant en contrepoint. Dans une typographie extrêmement simple et soignée, le récit se déroule à la façon d'une ritournelle dont la plaisante légèreté, jointe à la richesse des images, fait une manière élégante de mettre les rois à la porte de l'Histoire sans trop avoir à leur couper la tête.

8 commentaires:

  1. Après la découverte du palmarès de Montreuil, cet album redonne du baume au coeur...

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  2. Ben oui, sauf qu'il est de 1971. D'où, la honte...

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  3. Hé oui, c'était mieux avant, c'est toi qui l'a dit dans l'article précédent.
    :)))

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  4. Comme quoi je ne raconte pas n'importe quoi !

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  5. De rien ! C'en est une belle pour moi aussi.

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  6. C'est énervant des critiques aussi bien écrites et bien construites! Énervant mais énergisant

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