Adam Mansbach et Ricardo Cortés Dors et fais pas chier. - Grasset, 2011.
Certes, on dira sans doute que ce livre n'a pas tout à fait sa place ici puisqu'on prend bien soin de nous préciser qu'il n'est pas à mettre entre toutes les petites mains : il y aurait de vrais gros mots dedans ! Et ce serait une révolution...
Parce qu'un Américain excédé par son moutard insomniaque s'est un jour risqué à la transgression suprême en l'avouant sur Facebook, le voici promu Roi du Rire, best-seller à l'appui. On allait voir ce qu'on allait voir : on a eu beau regarder derrière et sur les côtés, on n'a rien vu, qu'un faux-album étrangement mal fichu et totalement à côté de la plaque, que ce soit dans la feinte impertinence ou dans la parodie.
La parodie, parce qu'il affecte la forme d'un livre pour enfant, mais dans ce qu'il y a de pire : un recueil de petits poèmes dont la traduction versifiée sent des pieds, laborieusement illustrés par un artiste un tantinet perdu quand il n'a pas la bonne photo. On en faisait de meilleurs il y a cinquante ans. Si c'est là toute l'idée que le papa se fait d'un album, on comprend que l'angoisse tienne la gamine éveillée à la perspective d'avoir à subir pendant des années un pareil ringard.
L'impertinence, elle, serait à chercher dans un texte vengeur qui donne à lire tout haut ce que la plupart des parents osent soi-disant à peine s'avouer : en gros, que ce sale braillard nous casse les burnes à ne pas vouloir dormir quand tout ce qu'on demande, c'est d'être peinard à mater un putain de dévédé, c'est vrai, quoi, merde à la fin. Ce en quoi l'auteur oublie, primo, que, de l'opium dans le biberon à la chaussette pleine de sable, il existe des tas de moyens sûrs pour endormir bébé et, secundo, que les bouffons ne sont jamais que des larbins améliorés. Le bouffon connaît parfaitement ses limites, son insolence bien tempérée ne sert qu'à dessiner en creux la puissance de son maître. Prétendre faire de l'humour sur l'amour parental, c'est donc lui reconnaître implicitement le statut d'un tabou : on doit aimer ses enfants et, aussi ch... soient-ils, ne rechercher que leur bien. Feindre le contraire ne saurait que déclencher les rires, mais pas trop fort, de peur de réveiller la petite. Bref, sous des airs de casseur d'assiettes, ce triste train-train de blasphèmes à 0% ne fait jamais preuve, au fond, que d'une insolence en balsa. De la gonflette.
Peut-être cela suffit-il au goût de puritains habitués à se faire des frayeurs en prononçant presque des mots de quatre lettres... Cela semble en revanche un peu pâlot pour qui connaît tant soit peu le folklore enfantin, jamais en reste de pines et de trous du cul. Et l'on finirait par plaindre ce pauvre papa, hissant péniblement son petit poème sur le second degré du politiquement correct tandis que, parfaitement réveillé, son gamin lui chante à tue-tête :
Certes, on dira sans doute que ce livre n'a pas tout à fait sa place ici puisqu'on prend bien soin de nous préciser qu'il n'est pas à mettre entre toutes les petites mains : il y aurait de vrais gros mots dedans ! Et ce serait une révolution...
Parce qu'un Américain excédé par son moutard insomniaque s'est un jour risqué à la transgression suprême en l'avouant sur Facebook, le voici promu Roi du Rire, best-seller à l'appui. On allait voir ce qu'on allait voir : on a eu beau regarder derrière et sur les côtés, on n'a rien vu, qu'un faux-album étrangement mal fichu et totalement à côté de la plaque, que ce soit dans la feinte impertinence ou dans la parodie.
La parodie, parce qu'il affecte la forme d'un livre pour enfant, mais dans ce qu'il y a de pire : un recueil de petits poèmes dont la traduction versifiée sent des pieds, laborieusement illustrés par un artiste un tantinet perdu quand il n'a pas la bonne photo. On en faisait de meilleurs il y a cinquante ans. Si c'est là toute l'idée que le papa se fait d'un album, on comprend que l'angoisse tienne la gamine éveillée à la perspective d'avoir à subir pendant des années un pareil ringard.
L'impertinence, elle, serait à chercher dans un texte vengeur qui donne à lire tout haut ce que la plupart des parents osent soi-disant à peine s'avouer : en gros, que ce sale braillard nous casse les burnes à ne pas vouloir dormir quand tout ce qu'on demande, c'est d'être peinard à mater un putain de dévédé, c'est vrai, quoi, merde à la fin. Ce en quoi l'auteur oublie, primo, que, de l'opium dans le biberon à la chaussette pleine de sable, il existe des tas de moyens sûrs pour endormir bébé et, secundo, que les bouffons ne sont jamais que des larbins améliorés. Le bouffon connaît parfaitement ses limites, son insolence bien tempérée ne sert qu'à dessiner en creux la puissance de son maître. Prétendre faire de l'humour sur l'amour parental, c'est donc lui reconnaître implicitement le statut d'un tabou : on doit aimer ses enfants et, aussi ch... soient-ils, ne rechercher que leur bien. Feindre le contraire ne saurait que déclencher les rires, mais pas trop fort, de peur de réveiller la petite. Bref, sous des airs de casseur d'assiettes, ce triste train-train de blasphèmes à 0% ne fait jamais preuve, au fond, que d'une insolence en balsa. De la gonflette.
Peut-être cela suffit-il au goût de puritains habitués à se faire des frayeurs en prononçant presque des mots de quatre lettres... Cela semble en revanche un peu pâlot pour qui connaît tant soit peu le folklore enfantin, jamais en reste de pines et de trous du cul. Et l'on finirait par plaindre ce pauvre papa, hissant péniblement son petit poème sur le second degré du politiquement correct tandis que, parfaitement réveillé, son gamin lui chante à tue-tête :
Quand j'étais petit
Je n'étais pas grand
Je montrais mon cul
À tous les passants
Ma mère me disait
"Veux-tu le cacher !"
Je lui répondais
"Veux-tu le lécher ?"
Je n'étais pas grand
Je montrais mon cul
À tous les passants
Ma mère me disait
"Veux-tu le cacher !"
Je lui répondais
"Veux-tu le lécher ?"
NB - Pour prendre la juste mesure de la totale fadeur de ce bouquin, on se reportera aux deux volumes naguère publiés par les défuntes éditions Être : Quand serons-nous sages ? Jamais, jamais, jamais et Quand serons-nous diables ? Toujours, toujours toujours, qui recensent une bonne partie des véritables comptines en usage dans les cours d'école. Et pour se marrer pour de bon , à Comment éduquer ses parents ! d'Alexandre Markoff (Circonflexe, 2011), qui enseigne aux enfants les mille et une charmantes manières de vraiment faire chier ses parents.
J'aime la lune (!)sur la couverture qui masque une partie du titre. Sur l'édition américaine, elle cache le "fuck", évidemment. Des gros mots, à la vue de tous ? Pouah !
RépondreSupprimerEt merci pour la chaussette pleine de sable, je ne connaissais pas...
Effectivement, le coup du titre est assez révélateur. On met un gros mot en couverture, mais pas tout à fait, tout en faisant passer cette reculade pour une finesse supplémentaire. Ce qu'on appelle de la rouerie...
RépondreSupprimerEn fait, si ce livre n'a pas sa place dans le Cimetière, c'est d'abord parce que ce n'est pas un album jeunesse. Donc il me semble que la critique est relativement hors sujet. Il est publié dans la collection "Littérature étrangère" de Grasset (et non de Grasset-Jeunesse).
RépondreSupprimerLydia
J'en suis évidemment bien conscient. Néanmoins, ce livre parodiant un album pour enfants, il dit quelque chose de la littérature jeunesse ou, du moins, de l'idée que les auteurs semblent s'en faire. Ce qui, selon moi, justifie amplement sa présence sur le blog, la niaiserie, en l'occurrence n'étant pas là où l'on voudrait qu'elle soit. Sous des allures iconoclastes, ce livre est, toujours selon moi, profondément lénifiant. Contrairement à ce qu'une campagne marketing bien menée voudrait nous faire croire, il ne remet rien en cause et surtout pas la sainte famille, cette ultime vache sacrée.
RépondreSupprimerFranchement, prenant le livre comme tel, sans avoir vu ou entendu aucune campagne de pub, je ne discerne pas d'allures ou de prétentions iconoclastes : c'est juste un album à s'offrir entre trentenaires ou quarantenaires avec enfants en bas âge, le petit cadeau anecdotique que l'on apporte pour être (ou croire être) original et rigoler un peu à l'apéro. C'est pour cela aussi que je ne suis pas d'accord avec l'idée que ce livre dirait quelque chose de l'idée que les auteurs se ferait de la littérature jeunesse actuelle. A mon avis, ils n'en ont pas forcément grand chose à faire : ce que montre au plus l'album (et ce, volontairement), c'est l'idée ou le souvenir qu'ils ont de la littérature jeunesse d'il y a trente ou quarante ans (de quand ils étaient petits quoi...), et du coup, je ne vois pas où serait la niaiserie ou le caractère lénifiant par rapport à celle d'aujourd'hui. Bref, il me semble que c'est donner beaucoup d'intentions cachées ou pas à un album qui est juste un petit truc un tout petit peu rigolo. Et qu'il n'y a pas de quoi crier une fois de plus au complot familialiste...
RépondreSupprimerLydia
Il y a eu tout de même un certain nombre d'articles dans la presse (il n'est qu'à lire la quatrième de couv) et on annonce le film ! Et c'est sans doute ce qui m'agace, cette disproportion entre l'exposition médiatique et le résultat, assez minable. Après, je suis entièrement d'accord avec vous sur le côté gadget du bouquin, son côté "cadeau entre trentenaires". "Tout ça pour ça" pourrait-on dire, d'un côté. D'un autre, et sans crier au complot familialiste non plus qu'aux intentions cachées, il participe indéniablement de l'air du temps et, en cela, je persiste à le trouver normatif. Il se fait des choses beaucoup plus iconoclastes et "subversives" en littérature de jeunesse, et moins bruyamment. Enfin, cela dit, je n'en fais pas non plus une obsession et il faut tenir compte de l'effet loupe du blog, n'est-ce pas ? Disons que, celui-ci, je l'enterre dans la fosse à purin...
RépondreSupprimerBon, puisque ce livre est ici, parlons-en. Dans le monde d'aujourd'hui il n'y a qu'une chose qui marche : le concept. Plus c'est "gros-tesque" et étrange - plus nous en sommes intéressés. Ici nous avons le sujet qui nous fait ou rire (si les couches et les endormissements de nos "nabos" adorés sont derrière nous et bien bien loin ;)) ou angoisser (on est en plein dedans! je me revoie à quatre pattes sur le parquet qui grinçait)ou bien ça nous donne juste un petit sourire comme le créneau de la voisine - et ça depuis la nuit des temps...Dépend sur qui ça tombe, d'habitude ça tombe bien sur les parents....donc ils achètent ce livre, se ferment dans les toilettes, lisent tout doucement (s'ils ont le temps entre les couches et les"veuxpas" à voix off (surtout)et ils ne se sentent plus seules au monde à vouloir endormir ce qui ne veut pas dormir tout simplement....
RépondreSupprimerAu fond c'est parce que les petits savent ce qu'ils veulent- or c'est juste pas la bonne heure pour sauter...
Moi (les couches et "veuxpas" sont approximativement loin) j'aime surtout la couverture, très explicite.
lila